Mon oisiveté a cet avantage de me
permettre de lire beaucoup mais surtout de suivre assidûment ce qu'on appelle
l'actualité. Il faut dire que grâce à internet les choses sont grandement
facilitées même si évidemment il convient d'être prudent en s'écartant
notamment de ce que j'appellerai les sites d'information institutionnels, ceux
qui reproduisent en particulier la parole officielle quand il s'agit notamment
de politique étrangère, et en multipliant les sources pour mieux les recouper.
C'est ainsi qu'on travaille dans le renseignement et ce travail de bénédictin
est effectivement nécessaire pour tenter de toucher du doigt la réalité des
choses dans sa complexité et éviter de se laisser aller à des jugements hâtifs,
davantage motivés par l'émotion que par la raison qu'elle remplace de plus en
plus.
L'ignorance et l'émotion me
semblent effectivement être devenues les deux mamelles auxquelles s'abreuve
avec délices notre civilisation, cela se traduisant par des choses insensées
dans le cadre de la démocratie, comme par exemple porter à la fonction suprême
de notre pays des gens qui en sont indignes par leurs comportement ou
incapacités et qui sont davantage objets de dérision que de respect. Comment un
peuple qui va puiser ses connaissances d'abord à l'école publique puis chez
Hanouna et consorts, cela incluant les journaux télévisés peut-il disposer des
instruments nécessaires pour faire des choix dictés par la raison? C'est
franchement impossible. Restent alors l'émotion ou le parti pris idéologique,
les deux se trouvant par ailleurs parfois en confrontation, et même en
opposition frontale, pour comprendre le monde et prendre certaines décisions.
Evidemment personne n'échappe
jamais totalement à ce que je nommerais ces travers, voire obstacles cognitifs
qui empêchent, pour reprendre Péguy, de dire ce qu'on voit et surtout de voir
ce qu'on voit. Par chance de temps en temps, sans doute trop rarement, il se
trouve que des personnes sortent de cette cécité volontaire et admettent leurs
erreurs. Je citerai l'une d'entre elle avec laquelle je me suis souvent
affronté, parfois de façon virulente, bien qu'il existe entre nous un respect
mutuel : "Nos certitudes, du moins
nos hypothèses que nous faisons théories, en prennent un pet depuis quelque
temps. Parce que je connais des musulmans, que nous dirons
"ordinaires", simples, car je déteste leur appliquer
"modérés", je me suis longtemps caché à moi-même une certaine
réalité, celle d'une foi qui, de toute façon transcende nos lois. Les blogs ou
posts et commentaires sur le site, résolument anti-musulmans m'ont révulsé,
mais je dois reconnaître qu'ils mettent la touche de clavier sur une réalité
que mon poultikment correk se refuse à admettre." Cet extrait de
commentaire (figurant sous mon dernier billet) outre son honnêteté pose le
doigt là où effectivement ça fait mal : la confrontation de ses convictions, de
sa perception du monde, avec la réalité… dès lors qu'on veut bien la voir. Et
reconnaissons que ce n'est pas toujours le cas, loin de là.
L'affaire de Cologne et autres
villes en Europe, en fait un phénomène qui existe depuis un certain temps déjà,
est un exemple parfait de cet aveuglement volontaire ou de cette lutte entre la
vérité et le mensonge organisé. Je passerai sur le fait qu'il fut tenté de nous
dissimuler par les autorités des pays concernés toutes ces affaires. C'est un
peu comme chez nous dans notre presse où on peut être assuré que le ou les
protagonistes de ce qu'on appelle un fait divers ne sont pas ce qu'on nomme des
Français de souche, car seuls ces derniers ont le "privilège" de
faire l'objet d'un signalement (patronyme, profession…). C'est Cologne par son intensité qui a délié
les langues sur un phénomène qui dès lors ne pouvait plus passer comme isolé et
sur lequel il fallait bien se pencher pour le décrire.
Mais non, vous n'y êtes pas! Les
voix n'ont pas manqué de s'élever pour justement banaliser le phénomène et
condamner ceux qui se risquaient à une explication rationnelle de celui-ci. On
a vu des harpies féministes troquer leur vocation à (mal) défendre les femmes pour
celle de défendre (aussi mal) les migrants et les musulmans. Mais finalement
cela peut être assimilé à un réflexe pavlovien: on connait assez les de Haas ou
les Autain pour savoir ce qu'on peut attendre d'elles et surtout ce qu'on ne
peut pas en attendre, la reconnaissance des faits qui dérangent leur petite
pensée. En fait on s'en fout de ces gonzesses. Ce qui est bien plus grave par
contre c'est la seconde fatwa qui fut attribuée à Kamel Daoud pour son analyse
de Cologne par des "spécialistes" des sciences humaines ayant trouvé
asile, mais c'est son rôle, dans le journal du soir (sans doute un signe) de
référence pour y exhiber leurs œillères. Daoud a su résister à la première
fatwa prononcée par des islamistes en 2014 continuant son travail de
journaliste et d'écrivain en Algérie, comme le fait Boualem Sansal, ce qui ne
manque ni de courage ni de panache. Il a été touché de plein fouet par celle
venant de ceux qui dont la vocation universitaire est censée défendre l'esprit
des Lumières, au pays des Lumières. Mais ça c'était avant, il y a longtemps. Et
on peut sans doute comprendre le désespoir de celui qui lutte pour que surgisse
la lumière chez lui, dans son pays et qui la voit s'éteindre dans le pays dont
il utilise la langue pour écrire parce qu'il estime la langue arabe "piégée par le sacré, par les idéologies dominantes". A
partir de là on pourrait disserter longuement sur la notion de refuge à partir
de cette conception de la langue française qu'a Daoud comparée à celle que
peuvent avoir certains représentants des
Lumières sentant le fagot quand il
s'agit de considérer ou plutôt de refuser de considérer, d'analyser, les actes de
réfugiés nouveaux ou anciens, économiques ou de guerre, en fait peu importe. On
verra ça peut-être une autre fois. Pour l'instant il ne s'agit que de montrer que
cette folie qui s'empare de ceux qui devraient nous en protéger.
Comment à
partir de là s'étonner de spectacles affligeants marqués par une versatilité de
l'opinion connectée désormais à l'émotion. On se souvient de ces migrants
accueillis il y a quelques mois sous les applaudissements dans les gares
allemandes (même si par ailleurs à l'occasion de l'Oktoberfest de Munich on
avait veillé à ce que fêtards et migrants empruntent des chemins différents
dans la gare). Quel contraste avec cette foule haineuse conspuant des migrants
venus des mêmes endroits et dans les mêmes conditions et qui n'osent pas sortir
du bus qui les dépose devant un centre de réfugiés! Les deux spectacles étaient
aussi pitoyables l'un et l'autre. A l'outrance du premier répond celle du
second. Cologne constitue la ligne de rupture.
Mêmes les
dirigeants ne sont pas en reste. Les Allemands particulièrement. On est passé
de mère Thérèsangéla, la dondon généreuse qui pour convaincre les
sceptico-pragmatiques vendait aux peuples européens des chances pour le
continent, une force de travail éduquée, instruite, parfois à haut potentiel
qui allait compenser notre déclin démographique, aux restrictions d'accueil, à
la tolérance zéro avec les délinquants venus d'ailleurs, aux lois restreignant
le regroupement familial, aux exhortations faites au Grecs de protéger l'espace
Schengen, aux vaines tentatives de soudoyer les Turcs pour arrêter l'afflux des
migrants (non pas que les Turcs aient refusé les milliards, ceux dédiés à
l'entretien des réfugiés et ceux dédiés à la relance de l'intégration de la
Turquie dans l'Europe – non tout ça ils ont pris et continueront à prendre –
mais parce que les réfugiés continuent d'affluer autant qu'auparavant)…
Viktor Orban
qui dressait des barrières de barbelés partout à ses frontières extra-UE est en
passe de passer pour un visionnaire qui aurait tout compris avant les autres
qui désormais l'imitent. Peut-être que les Belges qui viennent de fermer leur
frontière pour stopper l'afflux probable des migrants de la jungle de Calais
vont finalement se résoudre à construire cette ligne Maginot dont ils avaient
refusé l'extension au sud de leur frontière avant la guerre parce qu'ils
pensaient que leur neutralité suffirait à arrêter les chars nazis. Ce qu'on
avait adoré, Schengen en l'occurrence, on le piétine désormais sans état d'âme.
Orban,
encore lui, veut demander à son peuple, suprême hérésie quand on est Européen,
s'il accepte les quotas imposés par Bruxelles (et Berlin). Il ne manquera pas
de faire école.
En fait il n'aura
pas fallu longtemps avant que tout s'écroule, pour que des décennies d'idées
forcément généreuses et profitables aux peuples européens sans qu'on leur
demande par ailleurs leur avis sur la chose, partent en fumée. Quelques
centaines de milliers de migrants, à comparer aux 510 millions d'Européens de
l'UE, quelques mois, et quelques exactions qu'on a voulu taire et dont on se
refuse toujours à analyser les causes profondes, auront suffi à réduire à néant
ce qui n'était finalement qu'une chimère. Une chimère que malgré tout on tente
de sauver en apparence, ainsi que l'ont montré les pitoyables abandons au
profit des Britanniques rien que pour pouvoir caresser l'espoir de les
conserver à nos côtés, à nos côtés mais pas trop près quand même.
Je suis
content que cette Europe s'effondre. C'était son destin puisque bâtie sur des
grandes illusions généreuses mais dont les effets réels sont par contre néfastes.
Complétement idiote cette idée d'une Europe qui aurait garanti la paix alors
que c'est la paix qui l'a permise, tandis qu'elle a en même temps renoncé collectivement,
en même temps que les Etats la composant le faisaient individuellement, à se
doter des moyens pour assurer sa défense et a donc confié celle-ci en même
temps que sa politique étrangère à un pays tiers. Complètement aberrante cette
ode au libre-échangisme amenant l'Europe à s'ouvrir à tous et en particulier à
ceux qui n'hésitent pas à se protéger et contraignant les Etats-membres à une
compétition entre eux pour limiter les dégâts favorisée par un refus d'harmonisation
des normes fiscales et sociales internes. L'Europe est une folie, une folie
destructrice qui finira par sombrer malgré les obstacles qu'elle pose à
l'expression démocratique des peuples qui la composent. Car la poursuite en
avant de sa démarche folle, avec en particulier la signature prochaine de cet
infâme traité transatlantique qui nous est tellement bénéfique que l'accès à son
contenu nous est interdit, et même à nos représentants sauf sous certaines
conditions* qui en disent long, finira par couper les derniers liens entre les
peuples et leurs pseudo-dirigeants devenus des laquais d'une hydre aimant à se
ressourcer à Bilderberg ou à Davos.
C'est cette
folie, ce nouvel internationalisme qui s'est cru vainqueur et donc tout permis
lorsque son concurrent s'est effondré il y a 25 ans, et qui croit pouvoir
transformer l'homme en une unité de consommation/production dépourvue
d'identité, de sens social qui est en train de s'autodétruire. Car il est une
chose que les peuples d'Europe ont pu redécouvrir, et on ne pourra jamais assez
remercier pour cela les migrants et plus particulièrement les salauds de
Cologne et d'ailleurs (grâce à la spectacularisation de phénomènes de même type
plus discrets, plus diffus) , c'est que les hommes ne sont pas tous semblables,
que le seul accès à la consommation ne suffit pas à pacifier leurs rapports
parce qu'ils sont porteurs, chacun d'entre eux, et par groupes, de valeurs
parfois inconciliables, d'une identité aux vecteurs multiples, qui donnent un
sens à leur vie. En cela le conflit n'est pas chose méprisable. C'est la
manière dont il est mené qui peut l'être. Et en ce sens la responsabilité de
tous ceux qui ont cru pouvoir l'éviter en niant des différences et même des
incompatibilités est grande. C'est en effet cela qui mène à cette image
détestable de migrants conspués par une foule criant "wir sind das
Volk" détournant ce noble slogan lancé par un peuple effectivement qui
tentait de se libérer d'autres chaines, d'autres illusions auxquelles il n'était
plus possible de croire tellement la réalité leur était devenue étrangère.
Redevenons
ce peuple, ces peuples, capables de dire non au mensonge et par la seule force
de ce refus de l'abattre. Nous avons assez testé ou plutôt subi d'idéologies
depuis un siècle pour trouver enfin une voie s'écartant de toutes les illusions
qu'on voudrait nous vendre. Mais évidemment tant que l'ignorance et l'émotion
supplanteront la connaissance et la raison, on peut rester pessimiste quant aux
voies qui seront empruntées pour sortir de la situation présente devenue
désormais intenable.
*Les
parlementaires autorisés à consulter le TAFTA disposent de deux heures, ce qui
est évidemment trop court, dans une pièce fermée. Ils doivent laisser leurs
portables ou autres gadgets à l'extérieur, ne peuvent se faire accompagner d'un,
ne peuvent recopier des extraits du texte exclusivement en langue anglaise
(soumission quand tu nous tiens!), et ils doivent en outre ne pas divulguer ce
qu'ils ont lu. C'est quand même du vice de nous cacher cette chose qui doit
tellement nous faire du bien en assurant sans doute définitivement notre
prospérité et notre bonheur.