Un cas bigrement intéressant car
cet homme fait parler, fait écrire et suscite des niveaux de haine rarement
atteints sur les plateaux de télévision ou dans les chroniques des médias.
Ainsi par exemple a-t-on pu le voir récemment agressé verbalement par Mazarine
Pingeot qui « s’est tapé les 400
pages de son livre avec la nausée au ventre » et a expliqué le succès
de l’auteur du suicide français par sa forte présence sur les plateaux télé
oubliant au passage que sa petite notoriété à elle n’est due qu’au fait qu’elle
est la fille de son père et un peu aussi la nôtre qui avons participé à son
hébergement et à son gardiennage. Cela lui donnant évidemment le droit de se
poser en juge de moralité ou d’accorder ou non des satisfécits en termes de
conformité avec la bienpensance. Pour ma part j’espère que cette haine même pas
voilée par un minimum de civilité, mais est-on astreint à cela quand on est la
fille du grand homme, est-on astreint à cela quand on est persuadé qu’on est un
digne représentant du camp du bien, aura donné l’envie à certains de se
procurer au plus vite le livre de Zemmour pour y trouver tout ce qui pouvait
agiter ce petit monde, ces donneurs de leçons, tous ces gardiens d’une pensée
qui devrait s’imposer à tous mais qui pourtant rencontre encore des
résistances. Et sans doute de plus en plus si on se réfère au succès de
librairie de cette dernière production de cette honte du journalisme français
qu’est notre auteur xénophobe, islamophobe, misogyne, affreusement
réactionnaire, enfin bref nauséabond. Une chance pour lui qu’il soit juif car
il aurait immanquablement été taxé d’antisémitisme suite aux quelques pages
consacrées à la remise en cause des thèses de Paxton.
Ah ces maudites pages, ces pages qui
bien que ne faisant que reprendre des travaux d’historiens ayant pignon sur
rue, et même des éléments tirés du procès d’Eichmann et rapportées par Hannah
Arendt, ce n’est donc pas du neuf, ont permis à tellement de ces gens qui
n’aiment pas Zemmour, par principe, parce que ses idées ne collent pas à la réalité
virtuelle qui est la leur, de pouvoir condamner un bouquin qu’ils n’auront pour
beaucoup pas pris la peine de lire. Pourquoi après tout se donner la nausée
quand l’occasion vous est offerte sur un plateau de pouvoir éviter d’avoir à
produire des arguments pour démonter une œuvre que vous savez que vous
n’apprécierez pas même si c’est juste par principe. Certains, quand même un peu
plus sérieux, et comprenant que l’accusation de négationnisme ou de
réhabilitation de Vichy était quand même un peu légère pour rejeter en bloc un
livre de 527 pages (et pas 400 comme l’a déclaré Zaza ce qui du coup me fait me
demander si elle l’a vraiment lu – à moins qu’elle ait dû appeler le SAMU à la
page 400), se sont permis des analyses savantes à partir du titre, du bandeau
du livre et quand ils ont voulu montrer qu’ils étaient des contradicteurs dignes
de ce nom, en se forçant à lire le quatrième de couverture sans doute pillé sur
le site de la Fnac ou d’Amazon. Ce serait dommage de contribuer à la fortune de
Zemmour en achetant son bouquin !
C’est surtout à ceux-là, à ceux
qui se permettent de critiquer sans lire, mais on avait déjà observé ça lors de
la dernière production d’Alain Finkielkraut, cet infâme réac, que s’adresse ce
billet. Car il ne s’agit pas pour moi de commenter ce livre, d’analyser les
chapitres qui me conviennent pour expliquer que Zemmour a tout à fait raison,
comme d’autres le font pour démontrer qu’il a parfaitement tort.
J’ai d’ailleurs à ce sujet une critique
à faire. Le choix d’exposer des événements dans un ordre chronologique et donc
de commenter chacun d’eux ne me parait pas des plus heureux. Car dans cet
inventaire la hiérarchisation des événements n’existe pas. J’aurais préféré une
articulation différente autour de grands thèmes, par exemple la perte de
souveraineté nationale, la politique d’immigration et d’accueil des immigrés,
la culpabilisation de la France, les ravages de l’antiracisme, ceux du
féminisme, les mondialismes concurrents mais complices…
Mais peu importe finalement car
ceux qui ne l’ont pas lu ne l’auraient pas davantage fait, préférant sans doute
en rester aux impressions livrées par Ruquier et sa bande. Des gens biens sous
tout rapport car de gauche. Ce qui m’intéresse davantage en écrivant ce billet
c’est ce qui tourne autour du livre.
Tout d’abord le niveau de haine.
Il est à peu près comparable, dépassant peut-être légèrement mais à peine celui
enregistré quand Finkielkraut sortit son « identité malheureuse ».
Il ne manque pas de thèmes communs à ces deux ouvrages dégageant une nostalgie
d’une époque désormais révolue, une nostalgie de la nation, de la laïcité, de l’assimilation…
Et donc fort logiquement les mêmes causes ont produit les mêmes effets.
Pourtant d’autres auteurs dont
les livres ont eu un retentissement relativement important et développant les
mêmes problématiques n’ont pas eu à subir cet acharnement. Je pense par exemple
à Christophe Guilluy, un récidiviste notoire, qui après avoir commis « Fractures
françaises » vient de sortir « La France
périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires », deux ouvrages
qui reviennent sur l’immigration et les politiques ou plutôt les non-politiques
qui l’ont accompagné et qui en décrivent les conséquences pour les Français de
souche, ceux des classes populaires et moyennes, exclus du cœur des grandes
villes par manque de moyens financiers et chassés de leurs banlieues à cause du
communautarisme et donc relégués dans une France qualifiée de périurbaine, là
où les gens se sentent oubliés du pouvoir, et de moins en moins chez eux dans
leur propre pays victime de ce qu’on nomme l’insécurité culturelle ou
identitaire, une France de l’abstention ou du vote FN.
Et puis il y a aussi Hugues Lagrange,
sociologue au CNRS qui a commis assez récemment « le déni des
cultures » où partant de statistiques établissant un taux élevé,
bien supérieur à la moyenne chez les jeunes issus de l’immigration, il explique
le phénomène par le défaut d’acculturation de ces jeunes et donc un déficit d’intégration.
Certes les deux ont été critiqués, surtout le
second, mais rien à voir avec Zemmour ou Finkielkraut. Sans doute leur proximité
avec cette mouvance du PS appelée « gauche populaire », mouvement
intéressant conduit par Laurent Bouvet et né d’un rejet des élucubrations de
terra nova, reprenant notamment à son actif la notion d’insécurité culturelle et
donc s’intéressant, exception au PS, aux classes populaires, non pas pour les
mépriser, chose classique au PS, mais pour comprendre leurs préoccupations
réelles ou ressenties, y est-elle pour quelque chose. Parce que s’affirmer de
gauche ouvre la voie de l’absolution. Au passage ces gens-là sont l’illustration
parfaite que les notions qu’on retient encore du clivage gauche/droite n’ont
plus aucune pertinence et que les vraies fractures politiques se situent ailleurs.
Or ça il semble qu’il n’y a guère que les électeurs des classes populaires qui
l’ont compris, votant pour ceux qui évoquent le mieux leur vécu, et dans la
classe politique le FN classé à l’extrême-droite pour son patriotisme
revendiqué mais dont certains aspects du programme économique et social le
rapprochent de l’extrême-gauche, enfin ce qu’on appelle la gauche de la gauche
par précaution de langage, même si dans les faits ça revient au même.
Zemmour par ses positions exprime sans doute très
bien cette contradiction profonde entre une division politique de plus en plus
artificielle et qui n’est que le résidu d’une lutte des classes qui n’existe
plus que dans les mots, et ces clivages autour de la nation, de l’identité, de
l’Europe, du libéralisme mondial (pour ne citer que ceux qui me paraissent les
plus importants) qui sont au cœur des préoccupations d’une majorité de Français
qui manifeste donc par des moyens déjà évoqués son rejet du politique parce qu’elle
peine de plus en plus à se reconnaitre dans un parti politique ou pour aller
plus loin dans cet espèce de bipartisme qui nous condamnerait à voir alterner
au pouvoir PS et UMP, deux partis pourtant profondément divisés en leurs seins et
que seules leurs trésoreries empêchent d’éclater.
Et c’est donc cela qui m’intéresse dans le cas
Zemmour, au-delà de ses idées dont je partage une bonne part. Le fait qu’il
intéresse, que son bouquin soit un vrai succès de librairie me semble bien l’illustration
de ce que je viens de décrire. Il intéresse parce qu’il interpelle, je ne parle
pas des indignés par réflexe, parce qu’il pose de vraies questions au-delà de
la nostalgie qu’il exprime. En montrant aux Français le déclin de leur pays,
son effacement dans l’Europe, dans la mondialisation (mais c’est pareil), en
leur expliquant qu’un mouvement les a emportés malgré eux vers une situation qu’ils
n’ont pas voulu, il remet en cause ceux qui se posent comme nos élites, les
Zazas, les BHL et compagnie, et nous fait comprendre que les politiques après
avoir accompagné le mouvement se sont condamnés à n’être que de simples
figurants, des objets d’un spectacle encore assez mal calibré et qui donc est souvent ridicule ou répugnant.
Beaucoup de Français l’ont compris depuis longtemps, recourant de plus en plus
à l’abstention et au vote dit protestataire, mais qui est peut-être aussi l’expression
d’une certaine reconnaissance vis-à-vis de ceux qui font au moins l’effort de s’intéresser
à eux.
Zemmour par l’intérêt qu’il suscite est en
quelque sort un révélateur, le révélateur d’une France qui loin d’être
marginale, vit mal son présent et a peur pour son avenir et même de
disparaitre. Et ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, c’est évidemment leur
droit, mais je pense surtout à ses furieux adversaires, aux Vinchinski de
pacotille qui ne manquent pas dans leur milieu, ceux qui volontiers se
proclament démocrates et progressistes mais sont incapables d’entendre une opinion
contraire à la leur sans faire de celui qui l’a émise un dangereux fasciste,
ceux qui ne sont pas d’accord avec lui donc auraient avantage à comprendre cela
et à tenter d’y répondre autrement que par le mépris pour un peuple dont il ont
depuis longtemps peut-être, sans doute,
un peu trop tendance à prétendre savoir ce qui est bon pour lui et bien sûr
mieux que lui.