"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

mardi 14 septembre 2010

L'Allemagne a changé


J'ai bien connu l'Allemagne à la fin des années 70 et dans les années 80. J'y ai même vécu quelques années, suffisamment intégré pour m'exprimer non plus en Urdeutsch (allemand classique si vous préférez) mais en Pfälzisch, espèce de patois parlé dans le Palatinat. Je garde un très bon souvenir de cette période qui m'a permis d'apprécier le peuple allemand et d'en dégager quelques caractéristiques.
 
La plus notable d'entre ces caractéristiques est que les Allemands ont l'habitude d'aller au fond des choses. Que ce soit au niveau du travail ou de la fête, ils donnent le plus souvent le meilleur d'eux-mêmes, ou le pire, selon son point de vue. Chez eux pas de schizophrénie : quand on fait une chose, on n'en fait pas une autre. Aussi pendant une période bien définie, vous verrez des Allemands faire une fête de tous les diables, comme pendant le Fasching par exemple, ces quelques jours très déjantés de carnaval, et dès la fin de la récréation sifflée regagner leur poste de travail sans aucunement penser à prolonger ces quelques jours de fête. Si d'ailleurs pendant ce genre de période, vous faites une rencontre que vous pensez amoureuse, vous en serez très certainement pour vos frais, la personne rencontrée étant peut-être déjà en couple et ayant rejoint sa moitié qui ne lui aura demandé aucune explication sur ses activités pendant ces quelques jours de séparation, et réciproquement, ou ayant juste envie de s'amuser pendant un temps réduit, celui fixé par un strict calendrier. Ainsi sont les Allemands, attachés à "bien faire" ce qu'ils ont à faire quand ils ont à le faire.
 
Une des caractéristiques de ces années-là, parce que ça semble avoir changé et j'y reviendrai, est que les Allemands étaient encore largement sous le coup de la repentance. Ce qui en faisait d'une part des pacifistes convaincus, et d'autre part, un peuple complètement inhibé qu'on manipulait aisément dans le cadre de la communauté européenne.
Le pacifisme à l'époque se manifestait par ce slogan qui m'effrayait : "besser rot als tot" (plutôt rouge que mort) qui en disait long sur la volonté de défendre leur pays face au danger soviétique. Ceux qui ont un peu de mémoire se souviendront peut-être des tergiversations allemandes sur le déploiement des Pershing 2 sur le territoire de la RFA.
Sur le plan politique, bien qu'elle soit rapidement devenue la première puissance économique européenne, l'Allemagne demeurait un nain. Alors qu'en 1958, il fallait l'équivalent d'un franc (nouveau) pour se payer un deutsche Mark, lors de la création de l'euro, il en fallait 3,35. Et ce miracle économique n'était pas dû uniquement, et loin de là au plan Marshall. Pourtant l'Allemagne se présentait comme un pays soucieux de "se faire bien voir" par les autres, notamment par la France. Les couples de Gaulle/Adenauer, Giscard/Schmitt, Mitterrand/Kohl, et même Chirac/Schröder restent dans les mémoires. Celui formé par Sarkozy et Merkel, bien que du même bord politique contrairement aux précédents, n'a jamais eu et n'aura jamais cet allant, et ce n'est pas uniquement parce que la seconde n'apprécie pas de se faire peloter par le premier.
 
Parce que les choses ont changé, la réunification aidant certainement. L'Allemagne est sorti peu à peu de son statut de pays s'étant mis en devoir de courber l'échine du fait de son passé. Elle sort d'une fatalité dans laquelle voudraient l'enfermer certains comme Minc, par exemple, quand il dénie au pape le droit de s'exprimer sur la politique de la France vis-à-vis des Roms, juste parce qu'il est allemand. Evidemment ça n'a pas été simple, même en interne.
Par exemple, la Bundeswehr (l'armée allemande) a commencé à intervenir hors des frontières allemandes au début des années 90, modestement, en Somalie et dans les Balkans. Et il a fallu qu'en 1994 la cour constitutionnelle de Karlsruhe tranche sur le sujet et déclare ces interventions conformes à la loi fondamentale, car des plaintes venant de la gauche avaient été émises au sujet de ces interventions. Celles-ci depuis sont devenues moins modestes, même si elles ne sont pas encore à la mesure des opérations françaises ou britanniques. Mais dans les années 80 cela aurait été encore impensable.
Même si la réunification, c'est-à-dire l'absorption de 17 millions d'habitants d'un pays au bord de la ruine s'est faite avec quelques difficultés, même si les résultats ne sont pas encore parfaits, elle s'est faite. Aucun pays de la taille de l'Allemagne en Europe n'en aurait sans doute été capable. Par ailleurs, cette réunification a eu un cout politico-économique : l'abandon d'un deutsche Mark fort (valeur multipliée par 3 par rapport au franc en 20 ans) au profit d'une monnaie incertaine. Mais là encore, et la crise grecque l'a prouvé, les Allemands tendent à faire de l'euro le nouveau deutsche Mark, c'est-à-dire une monnaie forte car contrairement à d'autres pays, ils ne voient pas de contradiction entre une monnaie forte et une économie forte également et dont la balance commerciale peut être positive. Leur attitude face à la crise grecque, même si d'une certaine manière ils ont permis le sauvetage de l'euro, a montré que ce genre d'incident ne devrait pas se reproduire ou sans eux. Les concessions faites par Merkel lui ont d'ailleurs couté cher politiquement. Donc qu'on se le dise, l'Allemagne ne paiera plus pour les autres, surtout s'ils ne font pas les efforts adéquats. En ce sens elle a dicté les politiques d'austérité qui ont gagné peu ou prou tous les pays européens, au grand dam d'Obama d'ailleurs. Tant et si bien que désormais c'est la France qui tente de s'arrimer à une Allemagne désormais décomplexée.
 
Car décomplexée, elle l'est devenue. Deux événements récents, inimaginables il y a encore une dizaine d'années viennent de le prouver. Deux événements ou plutôt deux prises de position qui sont d'ailleurs, au moins pour la seconde puisqu'elle vient directement de Merkel, inimaginables chez nous, à moins de voir directement se pâmer toute la bienpensance avant qu'elle ne se jette dans la rue pour dénoncer un pouvoir d'extrême droite.
Le premier est le livre d'un dénommé Thilo Sarrazin : Deutschland schafft sich ab (l'Allemagne s'autodétruit), sorti en août de cette année, et dont vous pouvez lire quelques extraits ici. L'auteur n'est pas membre du NPD (parti néo-nazi) mais du SPD (parti socialiste) et membre du directoire de la Bundesbank. Du moins il l'était car il a dû (être) démissionné(r) des deux. Pourtant il affirme sans complexe que les musulmans vivant en Allemagne n'apportent rien à ce pays et, au contraire vivent au crochet de l'Etat et qu'ils ont une influence néfaste sur le QI collectif du pays. Son ouvrage qui semble être bien documenté, et pas seulement un mouvement d'humeur, a bien sûr fait un tollé dans la classe politique. Par contre, il a été très bien, et même plus que ça, accueilli par les Allemands. Il faut dire qu'il a été pas mal aidé en cela par les Turcs eux-mêmes qui se caractérisent par une profonde hostilité à l'assimilation qui leur est proposée, ainsi que par Erdogan, le premier ministre turc lui-même, celui qui frappe à la porte de l'Union Européenne, qui a déclaré en Allemagne à ses compatriotes que l'assimilation était un crime contre l'humanité. N'empêche que ce livre si bien accueilli par les Allemands est classé comme politiquement incorrect par la classe politique et par Merkel elle-même.
Cependant cette dernière n'a pourtant pas manqué très récemment de se positionner sur une ligne qui au regard des critères actuels peut être située également dans le politiquement incorrect. Elle a, en effet, déclaré lors de la remise du M100 Media Prize dont l'objectif est d'honorer les Européens qui contribuent par leur travail à préserver la liberté d'expression et à renforcer l'esprit démocratique dans les pays de l'Union à Kurt Westergaard, un des auteurs de caricatures danoises sur l'islam, elle a donc déclaré que " La liberté de religion ne signifie pas que la charia se situe au-dessus de la Constitution allemande. Aucune différence culturelle ne peut justifier le manque du respect pour les droits fondamentaux." Le choix du récipiendaire et cette déclaration suffisent amplement à la classer "du côté obscur". Imaginez une seconde Sarkozy disant la même chose. Et hop, une manif entre Bastille et République séance tenante. Le Kurfurstendamm n'a pourtant pas été envahi par les bienpensants. Vous aurez sans doute remarqué également que nos médias sont restés très discrets sur l'affaire. Même la mère Reding de la commission européenne ne s'est pas émue. Mais c'est vrai que les Turcs ne font pas encore partie de l'UE. Ouf !
 
L'Allemagne a changé ! L'Allemagne change! Peut-être pour le plus grand bien de l'Europe.

6 commentaires:

  1. bonsoir Expat
    L'Allemagne n'a pas d'ambivalence avec Merckel
    Si elle décide que la charia ne modifiera pas la constitution elle ne se vautrera pas à Rîyad ou dans la légende de l'Union pour la méditerranée
    Et on ne verra pas Kadafi planter sa tente à Berlin
    Cette rigueur elle peut se la permettre,son économie est hors d'eau
    Sarko lui cherche la gloire du pacificateur et les marchés juteux

    Et mon billet que Angéla vend aussi pas mal mais sans tapage

    Nous sommes des gaulois au bord de la grande bleue en train de nous transformer en Narcisse se mirant dans sa marre
    Oints de bien pensance de valeurs, capables de faire un fromage de tout surtout du zéphyr qui passe

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  2. je comprends maintenant pourquoi ils t'ont immédiatement zouqué chez l'Obs : "Pourtant il affirme sans complexe que les musulmans vivant en Allemagne n'apportent rien à ce pays et, au contraire vivent au crochet de l'Etat et qu'ils ont une influence néfaste sur le QI collectif du pays.".
    Imagine un peu la gueule de tous les kroumirs lovers de la rédac!...Et le palindrome et cette larve d'Amago...
    Il y a aussi cette question de la monnaie forte : bien que je sois ignare en économie, j'ai toujours pensé que cette notion d'une monnaie forte étant un handicap était de la foutaise. je ne savais pas qu'Erdogan déconseillait l'assimilation des turcs la qualifiant de "crime contre l'humanité" (??!!)
    De toute façon; tout musulman réfute son assimilation à la société non musulmane : Il n'a qu'un but islamiser le monde par tous les moyens

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  3. jamais compris mais entre 70 et 80 aprés les chocs pétroliers on disait que le taux de chomeurs luttait contre l'inflation
    au jouurd'hui pourrions nous envisager une inflation créatrice d'emplois?
    Même si le taux des prêts doit monter en flèche?
    (1989: 11.60% ollé!!!!)

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  4. Question compliquée Cimabue ! Sur laquelle personne n'est vraiment d'accord.
    Mais très pertinente dans un ensemble européen disposant d'une monnaie unique malgré des économies très différentes.
    Ainsi pour l'Allemagne, exportatrice, l'inflation représente un frein à l'exportation justement donc à l'emploi.
    Pour les pays importateurs, ça n'a évidemment pas la même incidence.
    Par contre la lutte contre l'inflation est également synonyme de rigueur salariale (pour éviter l'inflation par les alaires ou une augmentation des salaires supérieure à celle de la productivité), ce qui évite aussi les délocalisations et destructions d'emplois. L'exemple Conti que vous citez chez vous est un exemple de ce type de politique qui sera durable en Europe et plus généralement dans les pays développés. A moins d'envisager une relance par la guerre, ce qui est un scénario qui reste possible (prenez la première puissance mondiale hyperendettée, mais surrarmée et demandez vous les options qui lui restent à terme).

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  5. bonjour, Vlad,
    je ne dirai rien sur le changement, car je n'ai pas connue l'Allemagne, mais dites, qu'en pensez-vous au sujet de refus de Merkel sur son affirmation à Sarkozy d'expulser les Roms?
    Lena

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  6. Bonjour Lena,
    en fait il n'y a pas de refus opposé à Sarkozy, mais une position éminemment hypocrite ou relevant d'un conflit de personnes. L'Allemagne reconnait les prérogatives de la commission européenne pour juger de la conformité de l'expulsion des Roms (appartenant à l'UE) avec les règles européennes. Et elle n'a pas vraiment tort, puisque tous ces pays, France en tête ou plutôt Sarkozy en tête, se sont pécipités pour ratifier un traité de Lisbonne qui réduisait encore leurs pouvoirs au profit d'une commission de gens non élus.

    Certes, on s'arrangeait pour mettre des gens falots dans cette commission. En France on y envoie Barnier ou Barrot par exemple. Mais le problème est que quand vous donnez du pouvoir à des imbéciles, ils en tendance à en abuser, d'où les propos ignobles et risibles de la grosse Reding. Ignobles pour ses comparaisons avec le 3ème Reich, risible quand tel une institutrice face à ces élèves de 8 ans elle s'écrie ; ma patience a des limites. C'est là qu'on voit qu'elle a disjoncté et se prend pour ce qu'elle n'est pas.

    Pour en revenir à l'Allemagne et les Roms, on voit là toute l'hypocrisie de la situation : l'Allemagne va renvoyer 12000 roms au Kosovo. Mais personne ne lui dira rien. Elle est dans ses droits comme la France (à laquelle on ne reproche guère que cette circulaire et la médiatisation de ce qui se faisait déjà), et en plus, je dirai même surtout, le Kosovo ne fait pas partie de l'UE. Alors dans ce cas, on peut faire ce qu'on veut. Les Roms du Kosovo sont beaucoup moins dignes d'intérêt que les Roms roumains ou bulgares. Même si on connait l'état du Kosovo et qu'on devine comment ces gens vont être accueillis.

    En fait dans cette affaire, il n'y a qu'hypocrisie. La plupart des pays de l'union se dévarassent de leurs Roms dès qu'ils sont en situation irrégulière. Et la France est sans doute le pays qui le fait de la façon la moins rude. Mais il est de bon ton d'adopter officiellement une position humaniste. C'est la posture des dirigeants. Les peuples par contre sont plus honnêtes et approuvent en majorité l'action de Sarkozy sur le problème.
    Autre possibilité également : il existe peut-être une volonté d'affaiblir Sarkozy au moment où il s'apprête à prendre la présidence du G20 et du G8.

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